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La Loi de programmation de la recherche passée au crible

La Loi de programmation de la recherche (LPR) a été adoptée le 20 novembre. Elle concerne le financement et l’organisation de la recherche publique pour les années 2021 à 2030. Quelles sont les grandes lignes de cette loi ? Les sujets encore en discussion ? Le point avec Yves Lichtenberger, sociologue, professeur émérite de l’Université Gustave-Eiffel, membre du Comité d’orientation stratégique (COS) de l’Université de Strasbourg et consultant auprès de la Conférence des présidents d’université (CPU).

Quel est l’objectif de cette loi ?

On a longtemps rêvé d’une loi de programmation budgétaire pour la recherche. C’est fait, mais pour beaucoup, le résultat a un goût inquiétant. D’un côté, plus de 26 milliards d’euros, avec une trajectoire permettant d’atteindre l’objectif de 3 % du PIB claironné depuis 20 ans – mais cela prendra encore 10 ans* –, de l’autre, l’argent donné aura des exigences. D’un côté, des améliorations de carrière et des facilités de fonctionnement ; de l’autre, la crainte qu’il en soit fait mauvais usage.

Les crédits votés serviront :

  • à améliorer les carrières des personnels (un protocole a été signé en novembre avec des syndicats majoritaires et des négociations se poursuivent) ;
  • à accroitre les dotations de base des universités et labos (plus 10 % à deux ans et plus 25 % à partir de 2023) ;
  • aux organismes et programmes de recherche.

Une grande partie – près du tiers – sera consacrée à la recherche sur projets, notamment à l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui verra le taux de réussite à ses appels à projets passer de 17 % actuellement à 23 %, puis 30 %. Une manière d’atténuer leur côté trop sélectif et discriminatoire. Il y a également un renforcement du préciput versé aux universités (17 % aujourd’hui, 19 %, puis 25 % et 40 %). Il s’agit de la part du montant d’un projet lauréat réservé à son établissement, celui qui en quelque sorte, a investi dans le projet en amont, pour assumer le projet et aussi pour nourrir une politique scientifique plus large, y compris vers d’autres disciplines. Un rééquilibrage et une atténuation des discriminations. Cela permettra de se réjouir qu’une unité remporte un projet, en sachant que celui-ci ne fait pas que consommer des moyens, mais en apporte aussi à l’échelle de l’établissement.

Qu’en est-il de l’évolution des contrats qui doivent permettre d’améliorer l’attractivité des métiers scientifiques ?

Les différents articles concernant l’attractivité des métiers de la recherche peuvent être analysés du double point de vue de la flexibilité qu’ils introduisent ou de la sécurité qu’ils apportent. Les articles en question ouvrent des adaptations au caractère souvent incertain des carrières (améliorer les contrats post-docs) et des activités de recherche (on n’est pas toujours sûr d’obtenir de l’argent, ni de finir à date fixe). Les contrats publics de mission permettent d’éviter les bricolages d’empilement de CDD. Bien sûr, cela n’évite pas une certaine précarité, dont l’existence justifie en grande partie la mobilisation actuelle contre la loi. Mais cela peut aider à construire des politiques plus effectives, pour accompagner les transitions. Au moment d’établir un contrat, il restera important qu’un laboratoire veille à ce que l’implication de son titulaire dans le projet lui apporte un gain de qualification et de professionnalisation.
Les chaires juniors, qui s’inspirent des tenure tracks américaines, permettent de recruter comme maître de conférences de jeunes chercheurs ayant fait preuve de capacités brillantes, avec la possibilité d’un poste de professeur à la clé. Ces chaires juniors seront limitées à 15 % des recrutements. Cela crée effectivement une exception avec un bénéfice, celui d’attirer de nouvelles capacités qui en partie partent à l’étranger aujourd’hui.

Concernant le rôle du Conseil national des universités (CNU) et le recrutement des maîtres de conférences sans qualification ?

Ce changement permet à l’université de recruter, localement, des enseignants-chercheurs sans passer par la qualification décernée par la CNU. Le CNRS, par exemple, n’y est pas soumis. La loi ouvre une expérimentation pour quatre ans, qui restera extrêmement encadrée et qui ne pourra s’engager qu’avec l’approbation des conseils de l’université. La CPU s’est depuis longtemps déclarée favorable à cette possibilité, au nom de l’autonomie des universités, et du souhait de pouvoir choisir plus librement des profils à cheval sur différentes disciplines ou de pouvoir recruter plus facilement au fil de l’eau, sans le butoir du calendrier du CNU. Pour autant, la CPU s’est indignée de la façon dont cette disposition a été glissée in fine dans la loi. Le problème est complexe, très différent d’une discipline à l’autre et nécessite une large concertation, dans laquelle elle s’engagera pour que le décret amène une réflexion approfondie sur l’ensemble de la procédure de recrutement d’un enseignant-chercheur.

Concernant l’introduction d’un délit d’intrusion ?

Il s’agit là aussi d’un des amendements glissés en dernière minute par le Sénat. On en voit mal la nécessité car des dispositifs juridiques existent déjà pour sanctionner des dégradations ou entraves au fonctionnement du service public. Il est surtout interprété comme interdisant toute manifestation mais ce n’est pas le cas. Il ne vise que des personnes malveillantes extérieures à l’université et non ses étudiants et personnels. C’est un des points sur lequel l’avis du Conseil constitutionnel est attendu.

Et pour la suite ?

A ce jour, la LPR fait l’objet de deux saisines de députés et de sénateurs qui incriminent tous les articles que nous venons d’évoquer. La loi est donc maintenant soumise, avant promulgation, à l’avis du Conseil constitutionnel, qui aura à justifier, établir des limites ou refuser les articles incriminés. Ensuite viendra le travail d’élaboration des décrets, qui prendra facilement toute l’année 2021 et nécessitera encore de multiples concertations. Et puis viendra enfin le moment pour les universités de se servir avec audace et responsabilité des possibilités nouvelles offertes. C’est dans la pratique, par son impact, que se définira vraiment le sens de cette loi. Il est d’ailleurs prévu de multiples occasions de bilan et réajustements, aussi bien juridiques que financiers. L’heure va maintenant être aux universités d’en saisir les possibilités, est-ce que cette loi était à la hauteur des ambitions ? Nous le saurons dans dix ans.

*Plusieurs pays sont déjà à ce niveau voire au-delà : Allemagne, Autriche, Corée du Sud, Danemark, Israël, Japon, Suède, Suisse.

Propos recueillis par Elsa Collobert et Frédéric Zinck

Pour aller plus loin :

Bon à savoir

Le congrès de l’Unistra débat de la LPR

Mardi 8 décembre, les trois instances délibératives ont débattu de la nouvelle loi stratégique pour l’enseignement supérieur et la recherche, dans une organisation mixant le présentiel et la visioconférence. Suite à des échanges entre les élus du conseil d’administration, le 10 novembre dernier, le président de l’Université de Strasbourg, Michel Deneken, avait proposé l’organisation d’un congrès à l’université avec ce point unique à l’ordre du jour, pour permettre l’information et les échanges entre tous les élus.

L’Université de Strasbourg est la seule université en France à avoir organisé ce type de discussion au sein de ses instances délibératives. Le débat était animé par le journaliste de Newstank, Théo Haberbusch, et une présentation succincte de la loi a été préparée par le sociologue des institutions, professeur émérite de l’Université Gustave-Eiffel, Yves Lichtenberger, par ailleurs membre du Comité d’orientation stratégique de l’Unistra (lire ci-dessus).

Ce débat a permis aux différents élus des trois conseils de poser des questions, d’exprimer leurs points de vue sur l’interprétation que chacun pouvait avoir sur la LPR ou de demander des précisions sur la manière dont la loi allait être appliquée à l’Université de Strasbourg. Michel Deneken a réaffirmé l’attachement de la communauté universitaire au service public. Il s’est engagé à faire remonter au Premier ministre les idées fortes issues de ce débat : inquiétude sur le financement de la recherche, attachement au CNU, rôle des instances délibératives pour la mise en place des dispositifs proposés par la loi, retrait de l’article 38 sur la question des intrusions.

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