Focus

Rentrée : une reprise sur le fil

Soulagement mêlé d’anxiété : deux sentiments qui ressortent en cette rentrée chamboulée. Soulagement de retrouver l’université, ses cours et activités en présentiel. Mais aussi inquiétude face à l’avenir, fait de consignes mouvantes et de nombreuses interrogations concernant les semaines à venir.

« Je suis bien contente de retrouver un rythme et de revoir du monde. » Après six mois ou plus loin des amphis, nombreux sont les étudiants à partager ce sentiment. C’est le cas d’Aurore, qui a fini son année de césure en start-up derrière son ordinateur, confinement oblige. L’étudiante de 3e année du Programme grande école (PGE) de l'EM Strasbourg a donc retrouvé avec soulagement le chemin du campus Esplanade, début septembre. Mais pour peu de temps. « Certains événements de rentrée se sont tenus sur place, mais depuis la plupart des cours sont en ligne. C’est une ambiance assez étrange… » Les 1res et 2es années de l'école ont, eux, basculé en enseignement 100 % distanciel, mardi 29 septembre, pour deux semaines, pour contrer la multiplication des cas de coronavirus.

Plusieurs composantes ont fait le choix de l’hybridation1. A l’IUT Robert-Schuman, les promotions de 1res et 2es années sont scindées en deux et leur présence alterne entre début et fin de semaine ; à la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion, le calendrier est divisé entre semaines A et B pour les effectifs les plus nombreux en cours magistraux, licences Droit et première année de licence Administration économique et sociale (AES). A la Faculté de médecine, maïeutique et sciences de la santé – désormais la plus importante de l’Unistra avec ses 10 000 étudiants – les redoublants de la Première année commune aux études de santé (Paces) suivent désormais tous leurs cours magistraux (CM) à distance. Et les CM des étudiants de la nouvelle licence Sciences pour la santé, quant à eux, sont enregistrés et mis à disposition en ligne.

Streaming en amphi

Le mot d’ordre, relayé par le président Michel Deneken : « Donner la priorité, tant que c’est possible, au présentiel », contrairement au choix qu'ont fait d’autres universités de basculer en 100 % à distance (notamment dans le monde anglo-saxon). Parce que rien ne vaut l’interaction enseignant/étudiant pour apprendre. Que le risque de décrochage, déjà élevé en première année, serait accru par le délitement des liens en distanciel. Et que le risque d’isolement étudiant est réel, quand on sait qu’une bonne intégration est facteur de réussite.

Depuis le confinement brutal, en mars, la Direction du numérique (DNum) a travaillé d’arrache-pied au déploiement de solutions numériques. Nombre d’évolutions touchant les logiciels comme les infrastructures techniques, jusqu'alors à l'étude, ont été accélérées. « L’équipement des grands amphithéâtres en dispositifs de diffusion des cours en streaming a été retardé, en raison d’une rupture de stock nationale, souligne Olivier Morisson, du pôle Usagers et qualité. Mais grâce à un effort redoublé cet été, nous avons pu pallier cette carence en équipant une trentaine d’amphis en solutions intermédiaires, basées sur l’ordinateur de l’amphithéâtre. » Pour financer ces équipements, l’université a débloqué des moyens, les composantes aussi2. « Les enseignants expérimentent, évaluent les outils en fonction de leurs besoins (streaming pour la retransmission à d’importants contingents, Big Blue Button pour l’interaction). » Ils ont aussi pu se former au maniement de ces outils grâce à l’Institut de développement et d'innovation pédagogiques (Idip), et la DNum tient à jour une liste de fiches pratiques « profilées par type d'utilisateurs ». L’université avait réussi à basculer au 100 % distanciel en mars dernier. Elle y est encore mieux préparée maintenant. Ainsi du pôle API, sur le campus d’Illkirch, identifié comme cluster mi-septembre, et qui vient de rouvrir.

Fatigue des équipes

Reste que « les équipes sont fatiguées, le stress latent, reconnaît Benoît Tock, vice-président Formation. Que ce soit les administratifs ou les enseignants, on leur en demande beaucoup, des sens de circulation à mettre en place aux cours à ''hybrider'', et il faut sans cesse s’adapter aux consignes qui évoluent ». Un nouveau protocole a ainsi été diffusé vendredi 25 septembre, pour signaler les cas à l’Agence régionale de santé (ARS), via les services de santé.

Jusqu’à présent, le temps clément a permis de renouveler régulièrement l’air dans les salles de cours, conformément aux directives, et certains enseignants ont parfois donné cours en extérieur. Mais avec le refroidissement des températures et la dégradation générale de la situation sanitaire, les questions et incertitudes demeurent nombreuses.

Elsa Collobert

1 L’Unistra a été retenue par le PIA 3 pour le financement de son projet d’hybridation Déphy
2 Ainsi que l'Idex, qui a apporté un soutien de 500 000 € aux nouvelles modalités d’enseignement en contexte de crise sanitaire

Bon à savoir

Des inconvénients du port du masque

Du fait des mesures sanitaires à respecter, les enseignants doivent composer avec une nouvelle donne dans leur programme : le masque. Un accessoire bien encombrant pour Brett Johnson, enseignant d’anglais pour spécialistes d’autres disciplines (biologistes, physiciens, etc. pôle Lansad) : « Non seulement cela cache la prononciation, mais je n’arrive plus à saisir les expressions sur les visages des étudiants pour savoir s’ils ont compris ou non. Et je ne les reconnais plus ! Dans un cours basé sur l’interaction et le suivi individuel comme les langues, c’est un vrai problème ! » Une solution intermédiaire pourrait être trouvée avec le port de masques à fenêtres transparentes. Une commande a été passée par la Faculté des langues, mais là aussi, les délais sont longs... [La cellule Handicap a aussi commandé 400 de ces masques à destination des enseignants dont des étudiants mal entendants suivent les cours.]

« C’est un mal nécessaire », concède Vincent Blanloeil, qui reconnaît « la difficulté d’enseigner plusieurs heures derrière un masque. Mais il semble que le risque de contamination soit considérablement réduit grâce à ce dispositif. » De fait, les clusters identifiés l’ont été plutôt en raison du risque festif. Une campagne ciblée a d’ailleurs été déployée par l’université et l’ARS. Difficile, en effet, dans la plupart des cas, de respecter la distanciation d’un mètre dans les amphis et salles de classe. « Mais dans l’ensemble, j’ai l’impression que la rentrée s’est passée au mieux, dans les conditions qui sont les nôtres », souffle le doyen de l’UFR Math-Info. « Au moins, la priorité d'une première prise de contact physique avec les nouveaux arrivants a été assurée », abonde Benoit Tock. « On garde l’espoir que la situation reste ainsi car si enseigner à distance est difficile, évaluer l’est encore davantage », ajoute Vincent Blanloeil.

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