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La sirène et son mentor

C’est l’histoire d’une élève surdouée, arrivée un peu par hasard dans le monde de l’apnée, et de son coach, bien décidé à lui faire atteindre le plus haut niveau. De leurs frissons communs et frictions, parfois. Rencontre.

Elle n’avait jamais retenu son souffle sous l’eau. Pour son premier essai, elle a tenu 4 minutes. Vincent Heyer s’en souvient comme si c’était hier, de cette initiation au mermaiding* à laquelle seule Anastasia s’est présentée : « Une telle performance, c’est plutôt rare ! » Il en a pourtant, de la « bouteille » dans le milieu de l’apnée : vingt ans de pratique, un poste de vice-président de l’Atlantes subaqua club d’Alsace (Asca) et de juge en compétition, plus de dix ans de présidence de la commission apnée du Bas-Rhin…

Mais c’est surtout la suite qui l’a impressionné : « Une telle progression, c’est du jamais vu pour moi ». Après son premier essai, en janvier 2017, Anastasia enchaîne les performances, retenant son souffle de plus en plus longtemps : 5 min en février, 6 en mai, 6 min 40 en juin, le tout au sec, hors de l’eau. Tant et si bien qu’après moins d’un an de pratique, Anastasia se glisse avec une facilité déconcertante dans le circuit de la compétition. Coup d’essai, coup de maître, avec une première médaille d’or décrochée en coupe régionale, grâce à ses 5 min 03 – dans l’eau, cette fois. Elle rafle ensuite médaille d’or sur médaille d’or, toujours en statique, se payant même le luxe d’un record régional de la saison 2017-2018, avec une apnée de 6 min. Une percée plus que remarquée pour cette débutante, qui coiffe au poteau des poissons bien plus gros et expérimentés.

Progression fulgurante

Vincent Heyer salue la progression fulgurante d’une élève surdouée. Elle, visage lunaire et regard rêveur, évoque plutôt un nouveau monde qui s’ouvre sous l’eau : « J’ai toujours été attirée par le milieu aquatique – à ses débuts, elle étudie la gestion et la maîtrise de l'eau – ça ne s’invente pas. C’est l’observation des poissons qui me pousse vers les profondeurs. Quand je suis dans l’eau, je me sens bien, ça apporte une sérénité incroyable ». L’entraîneur en est certain : la barre des 7 minutes sera bientôt franchie.

Elle se qualifie pour les championnats de France, se hissant à la 5e place. Une sacrée performance, « même si le stress a pris le dessus. Je me suis habituée aux petites compétitions régionales, pas à ce monde grouillant d’habituées et de championnes éprouvées ». Il faut dire aussi qu’on regarde avec des yeux de merlan frit cette inconnue si naturellement à l’aise pour retenir son souffle.

Sauf qu’il y a quelques mois, la mécanique se grippe : réorientation scolaire, voiture qui lâche, déménagement… Anastasia continue à s’entraîner plusieurs fois par semaine, à la piscine de Dachstein. Sauf que la tête n’y est plus. Or, l’apnée est un sport où le mental compte énormément.

Diamant brut

En apnée, les approches sont nombreuses. Celle de Vincent Heyer et de son club est axée sur la pratique de la statique comme base de l’apnée, la dynamique étant strictement « de la statique en mouvement » (dixit Stéphane Mifsud, recordman du monde). L’ingénieur biologiste à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC, Unistra/CNRS), médaillé de bronze en coupe de France en 2006, connaît l’excitation de la compétition et le goût de la victoire. « J’aimerais qu’elle ait plus la gagne ! » On le sent bouillir face à ce « diamant brut » au potentiel physique exceptionnel – des tests médicaux ont confirmé la capacité pulmonaire de + 140 % d’Anastasia par rapport à la normale.

« Je n’ai pas envie de me forcer. Si ça ne passe pas, ça ne passe pas. Je veux me faire plaisir avant tout », lui rétorque-t-elle, sourire flottant à la Joconde et qui semble ne jamais se départir de son calme, employée pour le moment comme animalière à l’IGBMC. « Je n’ai pas face à moi une sportive rompue à la compétition, comme certains athlètes qui se tournent sur le tard vers l’apnée », observe-t-il encore. Fidèle à son approche « zen » de l’apnée, « Ana », comme il l’appelle, garde en ligne de mire l’objectif de 8 min qu’ils se sont tous les deux fixés. « J’ai confiance en moi. Si ça doit se faire, ça se fera. » En temps voulu.

Elsa Collobert

* Nage avec queue de sirène

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